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Oiseaux de tempête

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Extrait 2

Instinctivement, Galina stoppa le véhicule.

      Une dizaine de cavaliers apparurent derrière le premier, émergeant progressivement du brouillard formé par le sable virevoltant, et s’immobilisèrent à ses côtés.

         « Oh non, pas encore », murmura Salomé en repensant aux fois où des expéditions envoyées par des sociétés différentes se rencontraient sur un site. Ça se passait rarement bien.

Elle sortit ses jumelles et les braqua vers eux.

« Ils viennent de chez qui, à ton avis ? demanda Galina.

         — Ceux de chez Bassu font quelques explorations à cheval, ils trouvent ça préférable pour certains terrains… Il y a aussi les Ildar qui sont connus pour utiliser des animaux, les oiseaux domestiqués ça serait bien dans leur genre… Mais je ne vois pas leurs insignes. Ils ont du faire comme nous et laisser tomber une partie de l’uniforme à cause du climat, dit-elle en voyant leurs tuniques amples et les tissus qui protégeaient leurs têtes du soleil et de la poussière. Et qu’est-ce que c’est que ces fusils ?

       — De vieux modèles, précisa l’agent Jethra qui observait aussi aux jumelles. D’il y a au moins soixante ans.

— Qu’est-ce qu’ils font ? demanda à nouveau l’ingénieure.

— Comme nous. Ils nous observent eux aussi. Ils ont l’air de réfléchir. »

Le premier cavalier abaissa sa paire de jumelles. Il s’avança au pas, suivi de peu par les autres.

      « Jethra, couvre-moi, ordonna Salomé. Galina, prends ses jumelles et préviens si tu les vois faire quelque chose de suspect. Garde le moteur allumé. »

       Elle sortit du quatre-quatre et avança de quelques mètres, restant assez proche du véhicule pour pouvoir y rentrer rapidement. Jethra en sortit à moitié, un pied dedans et l’autre sur le terrain de golf, pour montrer sa présence armée, mains sur le fusil pointé vers le sol.

« Ici Salomé pour Idris », appela-t-elle au talkie.

         Aucune réponse ne lui parvint. Quand elle retenta, des grésillements lui coupaient la communication.

« Ils avancent tranquillement, annonça Galina. Ils ne touchent pas à leurs armes. »

       Ils attendirent. Comme le groupe approchait, Salomé s’aperçut progressivement qu’une dizaine de chevaux en imposait bien plus que ce qu’elle croyait.

         « Je vais m’avancer encore, je ne veux pas qu’ils entourent la voiture », prévint-elle ses coéquipiers.

Galina abaissa ses jumelles, ils les voyaient suffisamment bien à présent.

         Salomé leva la main pour saluer. Le premier cavalier s’arrêta à quelques mètres d’elle. Il leva la main de la même manière.

       Elle fut immédiatement frappée par le vert lumineux de ses yeux. Son visage bronzé, sa barbe sombre, en faisaient tant ressortir la couleur claire qu’elle paraissait anormale, et son regard brillait d’une intensité particulière qui le rendait encore plus perçant. Il observait les explorateurs avec un calme étrangement féroce, un mélange de colère déterminée et de satisfaction. Il ne descendait pas de cheval alors que Salomé avait quitté son véhicule. Elle sentit qu’il y avait quelque chose à désamorcer.

         « Bonjour, dit-elle. Nous venons d’arriver, le reste de notre équipe est ailleurs en ville. Et vous, tout se présente bien ? »

Il ne répondit pas. Rien ne lui montra qu’il l’avait comprise, ni de la part des autres cavaliers.

       Elle répéta la même chose, dans une autre langue. Il n’y eut aucune réponse, aucune réaction. Elle essaya plusieurs autres langues, leur demandant simplement s’ils la comprenaient.

        Elle savait que ses coéquipiers en connaissaient encore d’autres, une expédition se composant toujours de personnes sachant en parler de différentes pour cumuler le plus de capacités de traduction possible, mais elle voulait d’abord tâter le terrain elle-même.

         Ils ne tentaient rien pour communiquer. Ils ne parlaient pas entre eux non plus. Ils se regardaient, comme dans l’attente de ce que ferait leur chef. Lui, parfois, jetait un rapide coup d’œil à certains d’entre eux, et Salomé crut remarquer qu’il semblait contrarié par leur présence, comme s’il s’interdisait d’agir à cause d’eux.

         Salomé hésita à dire tout haut, pour les faire réagir, ce qu’elle pensait de leur silence : si le cavalier ne connaissait aucune des langues qu’elle avait utilisées, il aurait, au bout d’un moment, signifié par gestes qu’il ne comprenait pas, il aurait pris la parole pour voir à son tour si elle le comprenait. Mais elle ne voulait pas les provoquer.

« Eh bien, si on n’a rien à se dire, je vous souhaite… »

       Le premier cavalier avança au pas, la dépassa et se dirigea tranquillement vers le quatre-quatre. Salomé se tourna vers ses coéquipiers avec un signe d’apaisement de la main. Jethra gardait son fusil pointé vers le sol.

         Le cavalier aux yeux verts fit lentement le tour du quatre-quatre, observant attentivement le véhicule et ses passagers. Il revint ensuite reprendre place parmi son groupe.

Agacée par cette arrogance, Salomé lâcha :

« Bon, on peut parler, plutôt ? »

Mais il fit tourner son cheval de profil entre elle et ses cavaliers.

« C’est ça, allez, salut », lança-t-elle, sur le point de repartir.

         Elle s’aperçut soudain que quelque chose changeait. Il adressait de discrets signes de tête à quelques cavaliers, et, du côté qu’ils ne pouvaient pas voir, il empoignait son fusil. Une brusque terreur la paralysa pendant une seconde comme elle comprit qu’il tentait de donner l’ordre le plus discrètement possible, à certains de ses hommes seulement, d’abattre les explorateurs.

« Jethra ! » cria-t-elle en se précipitant vers le quatre-quatre.

         Elle entendit soudain les cris d’un violent désaccord éclater parmi les cavaliers. Jethra avait pointé son arme mais ne tirait pas. Salomé se retourna : certains cavaliers, dont le chef, tentaient de viser les explorateurs au fusil, d’autres les en empêchaient en les attaquant avec des sabres courts. Elle devina que les seconds avaient compris l’intention de leur chef et s’y opposaient. Son cri et sa fuite leur avaient sans doute donné l’alarme.

      Elle reprit sa course dans le bruit de quelques coups de fusils échappés dans la bagarre, et elle s’engouffra dans la voiture. Galina fit demi-tour et reprit à toute vitesse le chemin qu’ils avaient emprunté. Jethra et Salomé prirent position à l’arrière, pointant leurs armes sur les cavaliers qui se lancèrent à leur poursuite, eux-mêmes suivis par ceux qui voulaient les arrêter.

         Voyant le sable que soulevait le véhicule, Salomé demanda à Galina de zigzaguer. Bientôt, leurs poursuivants se retrouvèrent à foncer dans un nuage de poussière. Mais les coups de feu qu’ils entendaient désormais ne pouvaient plus être des balles perdues dans la bagarre entre cavaliers. Ils leur tiraient dessus.

         « Il fallait bien que ça arrive, ça ressemble plus à ce qu’on connait, lâcha Jethra. Mais ils n’ont toujours pas réussi à toucher le quatre-quatre ? D’où sortent ces nuls ?

— Dissuade-les, ordonna Salomé. Essaie de ne tuer personne. »

Il visa leur poursuivant le plus proche, dont l’arme sauta brutalement des mains.

      Une partie des cavaliers ralentit l’allure, refroidie par l’exploit. D’autres continuèrent à la même vitesse.

        « On retourne à la place où on a atterri, dit Salomé à Galina. On aura le soutien de l’équipe au complet et les munitions. Et est-ce que vous avez pu comprendre quelque chose quand ils se sont mis à se disputer ? Vous avez reconnu la langue ?

— Non, c’était trop loin et trop confus.

         — Je ne sais pas d’où ils viennent, continua-t-elle. Il y a peut-être deux groupes différents, vu comme ils sont capables de se taper entre eux.

— D’où ils sortent, ceux-là ?! s’écria Galina en désignant trois cavaliers devant eux.

— Reste à l’arrière », lança Salomé à Jethra pendant qu’elle les visait.

       Mais ils s’étaient arrêtés dès qu’ils avaient vu le quatre-quatre, et Salomé s’aperçut qu’ils regardaient la situation sans comprendre. Les explorateurs et leurs poursuivants les dépassèrent sans qu’ils réagissent. Ils ne rejoignirent que les derniers cavaliers, qui suivaient sans vouloir entrer dans le conflit.

         La voiture distança bientôt les chevaux. Au moment de quitter le golf pour réintégrer les rues de la ville, les cavaliers obliquèrent et prirent un autre chemin.

         « Ils sont visiblement là depuis plus longtemps que nous, informa Salomé, ils doivent déjà connaître le terrain et des raccourcis. On garde le rythme. Ici Salomé pour Idris », appela-t-elle au talkie.

         L’appareil dysfonctionnait toujours autant. Elle tenta tout de même jusqu’à ce que la place où ils s’étaient posés fût en vue.

        En voyant l’allure à laquelle arrivait le quatre-quatre dans la rue, les autres explorateurs comprirent que quelque chose n’allait pas. Ils accoururent dès que Galina stoppa le véhicule. Les trois passagers en descendirent d’un bond, Jethra fila au camion de matériel chercher des munitions pour tous pendant que Salomé expliquait la situation, prévenant que certains cavaliers cherchaient à les protéger de l’attaque des autres et qu’il ne fallait donc pas tirer comme des brutes.

        Les trois miliciens surveillèrent la place, les autres positionnèrent les véhicules de façon à pouvoir s’abriter derrière.

         Idris leur demanda soudain de se taire. Ils prêtèrent l’oreille et distinguèrent du bruit provenant de l’intérieur d’une des tours entourant la place.

       Hormis le souffle du vent, aucun autre son ne perturbait le calme de la ville. Ils reconnurent facilement une cavalcade de sabots, et une quinzaine de cavaliers firent irruption depuis le rez-de-chaussée de la tour.

       Salomé nota aussitôt qu’ils étaient plus nombreux qu’au terrain de golf. Certains avaient du les rejoindre en cours de route.

         Ils ne semblaient toujours pas d’accord. Une partie tentait de charger les explorateurs, l’autre de les en empêcher. Ils se battaient de préférence au sabre, cherchant visiblement à se blesser le moins possible, à ramener leurs camarades à la raison en se criant dessus, dans ce qui ressemblait plus à une dispute encore en débat qu’à un combat décidé à l’avance. Ceux qui tiraient visaient mal, ainsi que l’avait remarqué Jethra, comme s’ils n’avaient pas l’habitude de se servir de ces armes.

         A l’inverse, les explorateurs dissuadaient de s’approcher d’eux en tirant suffisamment près de leur cible. Les miliciens frimaient par quelques coups bien placés qui envoyaient valser les armes de leurs opposants. La confusion leur profitait. Ils se seraient trouvés en bien plus mauvaise posture si tous les cavaliers avaient été d’accord pour les attaquer.

       Un son de cor retentit bientôt, inattendu dans un tel lieu, lancé depuis les hauteurs. A ce signal, certains quittèrent la place en vitesse, d’autres cherchèrent à emmener de force avec eux les plus déterminés à attaquer les explorateurs, d’autres encore hésitaient.

         Un cavalier se démarquait par une plus grande habileté, qui força Salomé à faire feu sur sa monture pour le désarçonner : l’homme aux yeux verts. A terre, d’autres l’attrapèrent pour l’éloigner, comme ils quittaient peu à peu la place.

         Soudain, Salomé avisa un groupe qui hésitait sur la conduite à adopter, et elle braqua son arme sur l’un d’eux en s’avançant d’un pas résolu.

         Inquiets, ses coéquipiers la virent faire sans comprendre. Il n’était pas le plus menaçant, ni placé à un endroit stratégique dont il aurait été urgent de le faire partir ; au contraire, elle prenait un risque à aller vers lui. Cavaliers comme explorateurs s’étonnèrent de la voir avancer ainsi vers un groupe plus nombreux, et prirent peur devant son air sombre. Idris accourut en renfort, et ils s’éloignèrent.

         Salomé se rendit jusqu’à l’endroit exact où se tenait le cavalier qu’elle avait menacé, et elle ramassa un dossier de documents par terre. C’était celui qu’elle consultait parfois depuis qu’ils avaient atterri à Tredano.

« Tu t’es mise en danger pour ça ? » la gronda Idris.

        Elle lui lança un regard noir qui l’enjoignait de se mêler de ses affaires, et repartit soutenir leurs coéquipiers face aux cavaliers restants qui s’acharnaient.

       L’homme aux yeux verts en faisait partie. Il avait échappé à ceux qui voulaient l’emmener, il repoussait ceux qui le tentaient toujours. Le cor continuait de résonner, et face à l’équipe des explorateurs qui arrivait au complet face à eux, les derniers cavaliers le laissèrent là et partirent.

Cerné, il lâcha son fusil. Le cor se tut.

         Salomé regarda alentour. Le cor prouvait qu’ils étaient observés depuis les hauteurs. Elle décala son équipe et leur prisonnier à l’abri derrière l’immense sculpture qui ornait la place. Les miliciens désarmèrent l'homme aux yeux verts de quelques armes blanches, et le firent asseoir par terre.

         A cause de leur désaccord, Salomé avait cherché si les cavaliers portaient quelque chose de spécifique qui pourrait différencier deux groupes, deux entreprises, mais elle n’avait rien décelé. Leur équipement daté et leur manque d’entraînement flagrant l’intriguaient également.

« Vous habitez ici ? » se tourna-t-elle vers son prisonnier en comprenant soudain.

         C’était pourtant l’hypothèse la plus simple quand on rencontrait quelqu’un, mais les conditions étaient telles depuis des années qu’elle n’y avait même pas pensé.

         Il lui accorda alors une attention inattendue, comme s’il venait de prendre conscience de quelque chose, mais ne répondit pas plus qu’auparavant. Elle demanda à ses coéquipiers de lui parler différentes langues pour voir s’il réagissait à l’une d’elles. Ils essayèrent toutes celles qu'ils connaissaient. Quand ils abandonnèrent, il eut un léger sourire.

« Il nous comprend, s’aperçut Salomé. Il fait sa tête de mule. »

Elle se planta devant lui.

         « Vos amis n’ont pas l’air d’insister beaucoup pour vous venir en aide, remarqua-t-elle. Si vous voulez qu’on vous relâche, parlez-nous.

       — Je n’ai pas besoin d’aide, répondit-il enfin dans la langue qu’utilisaient les explorateurs, qu’il parlait avec un accent.

— Quel est votre nom ?

— Tu ne mérites pas de le savoir.

— Est-ce que c’est vous qui avez fait planter notre drone ?

— Ah, ça non. »

       Elle le crut, il avait dit cela du ton de quelqu’un qui aurait bien voulu en être responsable. Il voyait donc de quoi elle parlait.

« Vous savez à cause de quoi, alors ? » demanda-t-elle.

Il ricana.

« Vous êtes… comment dites-vous… dans le pétrin. »

         Elle se tut. Il commençait à avoir l’air content de lui, à vouloir fanfaronner, et le meilleur moyen pour qu’il se mette à parler était de le laisser faire. Une personne qui a des choses à dire va naturellement combler le silence d’elle-même.

« Je sais pourquoi vous êtes là, continua-t-il. Vous n’y arriverez pas. On savait que vous viendriez.

— Quoi ? »

Les explorateurs se rapprochèrent.

« Impossible, répondit Salomé.

— On vous attend depuis longtemps.

— Comment ça ?

— Nous avons une prophétie sur vous. »

       Elle s’arrêta, éberluée. Les explorateurs se regardèrent entre eux avec amusement, et éclatèrent de rire.

       Quand ils se calmèrent, le Tredanien reprit la parole.

      « Elle annonce que les étrangers de l’oiseau rouge viendront. Ils n’apporteront que du malheur. Les yeux de leur chef seront de couleurs différentes. Ils chercheront à nous détruire, mais nous les repousserons. »

La joie les quitta subitement, ils perdirent leur sourire et se figèrent.

« Vous êtes les oiseaux rouges », ajouta le captif.

         Tous pensaient la même chose : il ne pouvait pas avoir inventé cette histoire de prophétie à l’instant pour les effrayer. Le logo de leur société représentait un oiseau rouge, et il ne pouvait l’avoir vu nulle part sur leur matériel. Seules leurs vestes l’arboraient, et ils les avaient enlevées à cause de la chaleur bien avant d’arriver, pendant le trajet en hélicoptère. Ils les avaient rangées avec l’équipement pour ne plus les ressortir.

         Quant aux yeux de couleurs différentes, même chose : ceux de Salomé étaient noirs, mais le directeur de leur société, Tugan Rivosa, avait bien les yeux vairons, et ils ne voyaient pas comment le prisonnier aurait pu le savoir.

Devant leur malaise, il eut un sourire amer.

         « Nous ne venons pas vous détruire ou vous apporter du malheur, assura Salomé. On a une mission à remplir et on s’en va.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Confidentiel. Ça ne vous regarde pas.

— Si, puisque c’est chez nous.

         — Ecoutez, on ne vous gênera pas. Nous travaillons pour une entreprise de reconversion énergétique du nom de Korsha, nous n’avons pas d’intention hostile. Nous sommes un groupe d’éclaireurs que Korsha envoie pour repérer des terrains réputés dangereux depuis l'Effondrement. Plusieurs entreprises font ça pour reconstruire le monde après ce chaos.

— Pour piller les dernières ressources.

        — Pas nous. Pour comprendre, pour voir comment rendre à nouveau habitables des endroits dévastés.

— On n’a pas besoin de toi ici, Korsha. Dis-moi plutôt votre véritable objectif.

— Et dites-moi d’où vous tirez cette « prophétie ».

— Confidentiel. Ça ne vous regarde pas, répliqua-t-il avec sarcasme.

— Si, puisque ça nous décrit.

         — Ah, donc tu reconnais qu’elle est juste. Trop tard, de toute façon. Vous êtes déjà dans le pétrin.

         — Non, on peut toujours s’entendre. Votre prophétie cause un malentendu, on va l’arranger.

        — Je ne parle pas de nous. Je parle de la ville. De sa force. Souvenez-vous de votre drone… ce n’était pas nous. »

Les explorateurs se troublèrent.

« Quelque chose vient pour vous, reprit-il. Je vous l’ai dit, je n’ai pas besoin d’aide.

— Ça suffit, taisez-vous, maintenant. »

Elle lui tourna le dos.

         « Il fait des prédictions en employant des formules mystérieuses. Ce type est un exalté », conclut-elle pour ses coéquipiers.

Elle s’éloignait pour réfléchir, quand les deux ingénieurs la rejoignirent.

         « Comment pouvait-il savoir qu’on viendrait ? demanda Talev en parlant bas pour qu’il ne l’entende pas.

        — Ce n’est pas parce qu’il connait quelques détails sur nous que tout le reste est vrai. Il enrobe la vérité de mensonges pour nous faire peur, répondit Salomé.

— Alors quel est notre objectif ? »

Elle lui lança un regard mécontent, choquée qu’il revienne là-dessus.

« Il a dit qu’on venait les détruire, se justifia-t-il. On a besoin de savoir.

— Il raconte n’importe quoi.

         — Moi je dis, on est dans le désert, on cherche l’entrée d’une mine de diamants, proposa Galina. Ou le dernier puits de pétrole de la planète. »

Salomé soupira.

        « Je ne vous répondrai pas, mais puisque je ne peux pas vous empêcher d’y penser, autant savoir ce que vous avez en tête. Je vous écoute.

— Ou un échantillon bactériologique. Une formule chimique, reprit Galina.

— Les plans de fabrication de nouvelles armes, renchérit Talev.

— L’équation qui permettra la conquête spatiale, ce serait le rêve de ma vie.

        — Moi aussi. Mais Salomé serait plus enthousiaste. Il s’agit peut-être plus simplement d’une affaire privée, comme une richesse familiale, et les descendants n’avaient encore jamais eu l’occasion d’aller la chercher. Un testament de milliardaire…

— Rocambolesque, intervint Salomé avec dédain.

       — Et l’autre qui nous sort une prophétie, ça ne l’est pas ? Je n’avais encore jamais entendu un truc pareil en mission, s’emporta Talev.

      — Tugan nous enverrait sur demande d’un privé ? réfléchit Galina. Ça ne lui ressemble pas. Ses expéditions correspondent aux projets de la société.

       — On ne les connait pas toutes. Peut-être que le commanditaire paie bien, tout simplement. D’ailleurs, ça me fait penser aux financiers restants dont on entend parfois parler, qui veulent rendre à la bourse son rôle d’autrefois… Peut-être qu’on cherche un algorithme bancaire.

         — Tugan n’accepterait jamais un truc pareil. Et pourquoi un privé ? Ça pourrait aussi bien être l’Etat. Tredano a été rayée de la carte par les gouvernements, mais nous y voilà. Et on a envoyé un drone vers les archives. Peut-être qu’on cherche un secret d’Etat, qu’on fait une mission d’espionnage sans le savoir. Ça serait bien les façons de faire du Renseignement.

       — Oui, mais pour ça ils ont déjà leur propre réseau de l’ombre, l’armée nationale, et des mercenaires. Ils n’ont pas de raison de faire appel à nous.

— On est plus ou moins chers que des mercenaires ?

— Ça dépend. C’est souvent pareil. »

Ils s’arrêtèrent, à court d’idées pertinentes.

       « Vous avez fini ? lâcha Salomé. Maintenant si vous voulez bien chercher dans les commandes du drone un indice sur ce qui a pu lui arriver, merci.

— On reste là ? Tu ne veux pas qu’on cherche un abri plus sûr ? demanda Talev.

         — Non, ils connaissent des passages par l’intérieur des bâtiments. Au moins ici on les voit arriver, on sent leur présence », expliqua-t-elle en scrutant les hauteurs alentour.

         Elle espérait que des habitants plus raisonnables, comme ceux qui avaient voulu stopper le Tredanien aux yeux verts, se présenteraient bientôt pour entamer un dialogue. En attendant, elle se plongea dans l’étude de ses documents.

      Les ingénieurs analysèrent l’équipement du drone, les miliciens surveillèrent les lieux, et la médecin regarda le prisonnier, assise par terre, à quelque distance. Elle l’observait avec intérêt, tout en fumant une cigarette qui peinait à rester allumée dans le vent.

      Enyedi était la moins bavarde des membres de l’expédition. Son caractère taciturne, son physique large, les cheveux grisonnants presque ras et le regard vif, les intimidaient suffisamment pour qu’ils ne lui fassent pas remarquer le mauvais exemple qu’un médecin donnait en fumant.

        Le prisonnier ne s’intéressa pas à elle, ne parut pas gêné de cette attention. Il restait immobile, l’air plus détaché à présent qu’il leur avait parlé. Quand le vent se calmait, les courants de chaleur s’alourdissaient, et Idris lui donna à boire.

Enyedi se leva et rejoignit Salomé.

       « J’ai quelque chose d’intéressant sur notre ami, annonça-t-elle en haussant la voix pour couvrir le souffle du vent. Il est malade.

— Comment ça ? demanda Salomé intriguée.

— Il y a quelque chose avec sa respiration. Il… »

       Les documents manquèrent de s’arracher au dossier et de s’envoler. Elles plaquèrent brutalement leurs mains dessus.

« Sa respiration, tu disais ? reprit Salomé en rangeant les papiers.

         — Je n’en ai pas repéré beaucoup plus, il faudrait que je l’examine », fit-elle avec un geste de la main qui signifiait de laisser cela de côté pour l’instant en faveur de problèmes plus urgents.

         N’ayant plus l’attention absorbée par ce qui les occupait jusque-là, elles prirent conscience de la force que les rafales avaient prise, aussi violentes que sur la place des archives.

         Les miliciens avaient déjà mis les masques qui leur couvraient le nez et la bouche pour se protéger du sable charrié par les bourrasques. Les autres les mirent aussi et le prisonnier fit de même avec le tissu de son turban. Il enfila également une paire de lunettes de protection.

Voyant cela, Salomé alla lui demander :

         « Vous avez l’habitude de ce vent. Ce n’est pas une tempête de sable venue du désert, qu’est-ce qui se passe ? Est-ce que ça va continuer d’empirer ? »

Il ne répondit pas, ne bougea pas, restant assis en tailleur comme s’il attendait quelque chose.

         Elle le quitta pour se concentrer sur d’autres priorités. Elle laissa les miliciens le surveiller, et demanda l’aide des ingénieurs et d’Enyedi pour déplacer les véhicules et tenter de les mettre à l’abri sous la sculpture. Mais le vent soufflait en tous sens et ne laissait aucun endroit où il eût été préférable de se réfugier.

         Idris appela Salomé en criant dans la bourrasque. Il pointa le doigt en l’air : à l’endroit désigné, à mi-hauteur d’une tour, une vitre renvoyait des reflets de lumière intermittents.

Elle revint droit vers le Tredanien.

« Ils communiquent avec lui, c’est sûr, expliqua Idris. Il faut lui bander les yeux.

— Et vos intentions pacifiques ? rappela le prisonnier.

     — J’y pense, confirma Salomé. Je vous laisse voir uniquement si vous me dites ce qu’ils vous transmettent… »

         Le son du cor les interrompit. Il sonnait par à-coups, dans un rythme qui codait à l’évidence un signal particulier.

« Il faut qu’on lui bouche les oreilles, aussi ? ironisa Jethra.

— Qu’est-ce qu’ils vous disent ? le pressa Salomé.

— Cela veut dire que le vent tourne, Korsha. »

Elle put deviner un sourire sous le revers de son turban.

Le cor et les reflets de lumière s’arrêtèrent.

         Les explorateurs se turent, attendant quelque chose. Il ne se passa rien d’autre que les rafales de vent qui continuaient de forcir.

       Ils allèrent se blottir contre la sculpture, emmenant le prisonnier. Il marchait bien plus aisément qu’eux dans la tempête.

       A cause du nuage de poussière, ils ne voyaient plus au-delà de la place où ils se tenaient. Les quatre-quatre tremblèrent.

« Il faut rentrer ! » cria Jethra en montrant l’entrée d’une tour proche.

         Salomé ne répondit pas. Elle observait le Tredanien pour tenter de savoir ce qu’il attendait, et ainsi décider quelle option était la moins dangereuse.

        « Il vaut mieux risquer un piège tendu par des habitants qui visent mal plutôt que de rester là ! » insista Idris.

         Le prisonnier maintenait son attention tournée vers l’avenue la plus large qui débouchait sur la place, d’où provenaient les rafales les plus fortes. Quand les véhicules furent poussés par le vent sur deux mètres, elle céda.

« D’accord, allons-y ! »

Ce qu’ils entrevirent alors dans la grande avenue les figea sur place.

      A travers la poussière ondoyante des bourrasques, ils discernèrent une colonne plus sombre, plus massive, qui avançait vers eux en tournoyant, occupant toute la largeur et la hauteur de la rue. Une tornade qui balayait la ville.

      Encore plus improbable, deux formes galopaient juste devant, la précédaient à toute allure, chevauchant droit vers les explorateurs.

« Rentrez ! » ordonna Salomé en poussant son équipe vers l’entrée de la tour qu’ils avaient repérée.

Le prisonnier restant à sa place à regarder venir la tornade et les cavaliers, elle lui cria :

« Qu’est-ce que vous faites ? Venez ! »

         Les cavaliers s’approchant, elle put distinguer plus clairement : il n’y en avait pas deux mais un seul, qui faisait galoper à son côté un cheval qu’il tenait par la bride.

         Elle attrapa le prisonnier par les épaules pour le forcer à suivre le groupe. Plus à l’aise qu’elle dans la tempête, il se dégagea et se rua soudain sur un quatre-quatre pour le faire basculer. Les affaires s’en échappèrent et se transformèrent en projectiles portés par le vent, qui s’élancèrent en direction des explorateurs arrivés à mi-chemin de la tour.

        Elle dégaina son pistolet et fit feu. Mais il s’était déplacé de sorte que quand Salomé se tourne vers lui, le vent lui arrive de face, et elle dut aussitôt détourner la tête à cause du sable qui se jetait violemment dans sa figure malgré les lunettes et le masque.

Elle abandonna et courut à la suite de son équipe.

       Elle entrevit le cavalier dans un coin de son champ de vision et se risqua à tourner la tête. Il avait ralenti à un petit galop qui permit au prisonnier de se jeter sur le cheval libre et d’y monter pendant la course.

         Alors que la tornade arrivait sur la place, les cavaliers s’élancèrent vers une tour et s’engouffrèrent à l’intérieur. De lourdes portes de fer se refermèrent aussitôt derrière eux.

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